« Une ère nouvelle de magasinage à Magog », clame la publicité annonçant l’ouverture du Woolworth’s, le 6 novembre 1952. Tous ne partagent pas nécessairement cet enthousiasme. L’arrivée de ce géant du commerce de détail au cœur de la rue Principale (l’actuel Sports Experts) ne laisse cependant personne indifférent.

D’une part, la construction du nouveau maillon de la chaîne Woolworth’s, qui a vu le jour aux États-Unis en 1897, entraîne la démolition d’établissements connus, comme le restaurant Plaza d’Albert Gravel et la blanchisserie des frères Lee. De l’autre, l’entrée en scène de ce nouvel acteur laisse présager une concurrence féroce aux autres commerçants de la « Main », particulièrement ceux qui, comme Régent ainsi que le Union – angle Principale et des Pins –, vendent sensiblement la même marchandise.

Pour se tailler une niche, Woolworth’s mise sur plusieurs atouts. Elle se fait forte d’offrir la plus grande diversité – « des résilles aux ustensiles, du bonbon à la draperie » – aux plus bas prix. Prétention qu’elle appuie avec des épithètes ronflantes – « la Mecque moderne des valeurs » – , mais surtout une vente d’ouverture de trois jours qu’elle fait connaître par une publicité tapageuse de deux pages dans Le Progrès du 30 octobre. Avec des bas nylon à 87 cents la paire et des sacs à main à partir de 2.98 $, il y a de quoi tenter les consommateurs magogois qui vivent à ce moment une période sombre, conséquence d’un ralentissement dans le textile.

Autre attrait sur lequel compte le petit nouveau de la rue Principale : sa formule « self-service » qui permet aux curieux de circuler librement dans les allées et de jauger les produits, à côté desquels sont apposés les prix, avant d’en faire l’acquisition. En vogue depuis les années 1930 dans des épiceries comme Dominion et A & P, cette approche gagne en popularité.

Le dernier-né de la chaîne Woolworth’s, le plus moderne à ce jour au Québec selon  ses dirigeants, est lancé en grande pompe le 6 novembre, en présence du maire Ovila Bergeron et du curé Léon Bouhier. Une réception à l’hôtel Union couronne l’événement qui constitue un coup de semonce pour les commerçants locaux. Malgré leur enracinement dans la communauté, ceux-ci savent que la loyauté des clients est fragile. Face à des économies aguichantes, comme celles qui en attirent déjà plusieurs jusqu’aux villes frontalières du Vermont, il faut se retrousser les manches. Ce que certains s’efforcent de faire en publicisant, dans les semaines qui suivent, des ventes de leur cru.

La révolution dans le commerce est néanmoins bien enclenchée. Quelques années plus tard, ce sera au tour de Farmer (actuel Rossi) d’avoir pignon sur la rue Principale. Puis, en novembre 1961, le centre d’achats Sherbrooke (actuelles Promenades King), un nouveau concept qui fait fureur, ouvre à son tour ses portes.

Une nouvelle ère commence. Elle laissera éventuellement derrière elle une multitude de commerces dont les noms – Rouville Beaudry, F.A. Dion, E.E. Gauvin, Léon C. Hamel, Hudon & Vigneux, Paul Légaré, W.W. Lévesque, etc. – ont été, pendant des décennies, des incontournables de la rue Principale. La chaîne Woolworth’s, elle, s’évanouira à la fin des années 1990.

Ferronnerie Hudon&Vigneux (Petite)F. A. Dion (Petite)R. Farmer (Petite)R. Beaudry (Petite)

Magasins de Magog, vers 1950 (Fonds Studio RC, coll. SHM)

 

Serge Gaudeau

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